Volodia Vaisman – Les échecs de la réussite
Interview du 14 Mars 1987 pour le MIDI LIBRE
Il vient de « damer le pion » à deux grands maîtres incontestés de l’échiquier international, lors du tournoi d’échecs qui se déroule actuellement dans les salons du Sofitel. Volodia Vaisman a accroché à son tableau l’israélien Lev Gutman et le Yougoslave Zlatko Klaric. Une surprise ? Pas vraiment car ce talentueux Montpelliérain et Français d’adoption jouait, ici, presque sur ses terres...
Voici plus de deux ans que Volodia Vaisman habite Montpellier. En décembre 1984, accompagné de son épouse, il vient disputer un tournoi sans retour ver sa Roumanie natale. Depuis longtemps, Vaisman souhaitait quitter un pays où il se sentait de plus en plus à l’étroit.
L’administration était étouffante. Pour obtenir, par exemple, un visa, il fallait se livrer à des démarches invraisemblables. Et j’avais pourtant besoin de disputer des tournois à l’étranger. Je me sentais vraiment très coincé. C’est pourquoi j’ai pris la décision de m’expatrier et de ne plus revenir.
C’est à Montpellier que Vaisman demande un asile politique aussitôt accordé. Une décision qu’il avoue difficile car sa fille était restée – par la force de l’administration roumaine – au domicile conjugale.
Chantage classique. Nous n’avons jamais obtenu l’autorisation de partir à l’étranger tous les trois, ensemble.
Mais pour Vaisman, ce type de pression est intolérable et, après une longue concertation, sa famille tente le risque de la séparation. Qui durera 9 mois. Puisque sa fille le rejoindra après une intervention efficace du Quay d’Orsay. En Roumanie, Volodia Vaisman était, pourtant, un maître international respecté et qui, après une brève carrière de prof. de langue roumaine, pouvait se consacrer uniquement à sa passion de toujours – le Échecs. Il a gravi tous les échelons de la hiérarchie pour devenir entraîneur national.
Mais là-bas, l’avenir ne ménageait aucune surprise. Tout est tracé. Petitement...
En prenant la décision de s’expatrier, Vaisman voulait avant tout casser cette routine. Le voici donc en décembre 1984, dans les rues de Montpellier avec en tout et pour tout les 2.000 F de sa deuxième place du tournoi... La communauté juive les prend alors en charge avec sa femme, une famille les héberge. Mais très vite Vaisman multiplie les contacts et le député-maire Georges Frêche lui propose une place d’entraîneur municipal. Comme le jeu d’échecs tentait une percée sur la diagonale montpelliéraine, la présence de Vaisman constituait une chance...
Ce poste d’entraîneur me convenait parfaitement car, si le jeu d’échecs représente une grande part de mon existence, il n’est pas exclusivement consacré à la compétition. Je suis joueur mais aussi entraîneur et pédagogue. Pour moi, les Échecs sont synonymes de diversification.
Vaisman consacre, en effet, une bonne partie de son temps à écrire des articles pour des revues spécialisées. Et récemment, la Fédération française lui a demandé une série de cours par correspondance. L’été dernier, dans le cadre de l’opération municipale « Place aux sports », Vaisman a donné la bagatelle de 1.500 leçons à des jeunes montpelliérains...
Mon rôle est de vulgariser ce jeu par des initiations, en organisant des tournois et d’autres manifestations pour faire connaître le jeu d’échecs. C’est un travail sans limite qui m’absorbe énormément. Et qui me plaît !
Ce qui n’empêche pas l’unique maître international montpelliérain de tâter encore de la compétition. L’an dernier, le cercle Alekhine est monté - sous son impulsion – en première division nationale. Cette année, il joue pour le compte du club rival – le cercle Karpov.
Pour les aider à leur tour à gravir un échelon et pas d’autres motifs...La rivalité doit se limiter au plan strictement sportif !
Car le jeu d’échecs est bien un sport et requiert une bonne condition physique.
Comme la majeure partie des tournois se disputent en soirée, il est important d’arriver en forme à ce moment-là. Ce qui implique un changement de biorythmes pour les gens matinaux. Car le matin, il vaut mieux dormir...
Les échecs développent et exigent beaucoup de mémoire, la rage de vaincre et de la concentration.
Une partie sur l’échiquier ne représente que 10% de la lutte engagée sur le plan psychologique. Comme la victoire passe par la déconcentration de l’adversaire, il faut le troubler en le surprenant. Pour réussir son coup, il est nécessaire d’engager la partie bien avant le départ réel du chronomètre : en étudiant les parties antérieures de l’adversaire pour mieux le connaître et pouvoir ainsi le surprendre. Les champions du monde sont d’ailleurs entourés d’une équipe qui épluche pour eux des centaines et de centaines de parties...
Plus modeste, Vaisman se réfère à des livres et revues spécialisés. Une véritable bibliothèque expédiée depuis la Roumanie vers la Suisse par petits paquets de 5 kilos... C’est tout ce qui lui reste !
Ça m’a coûté plus cher que le prix des livres...
Mais c’était indispensable. Son départ était donc depuis longtemps prévu. Dites-moi, pourquoi les grands champions sont-ils presque tous originaires des pays de l’Est ?
Parce que là-bas les échecs constituent une forme de culture que l’Etat soutient. Les joueurs occidentaux jouent trop en dilettante et ne travaillent pas suffisamment.
Gageons qu’avec un tel entraîneur, les Montpelliérains pourront rapidement rattraper leur retard !